dimanche 4 octobre 2009
Vendredi 11 septembre 2009. Le départ
Un ballet de roulier
Rien à voir avec les porte-conteneurs d’Anvers (http://celineauchercargo.blogspot.com/).
La côte des sirènes
Nous partons de la côte amalfitaine, le versant sud de la péninsule de Sorente. Là où Ulysse a donné des boules quiès à ses marins et s’est attaché au mat pour ne pas succomber au chant des sirènes. C’était au large de Positano, village accroché au-dessus des flots, à flanc de rocher. Heureusement, aujourd’hui, il y a le GPS, peu sensible aux vocalises, seraient-elles mythiques. Et si l’on meurt ici ? « Le jour du Jugement, pour les Amalfitains qui iront au paradis, sera un jour comme les autres ». C’est Renato Fuccino, un écrivain italien qui l’a dit en 1878.
Le ventre de la baleine
En bas, sur le quai, il est interdit de prendre des photos. En bas, c’est le ventre de la bête. On se sent comme Jonas avalé par la baleine. Il faut remonter dans les entrailles de ce mamifère de métal : prendre l’ascenseur au pont 3 - le niveau de la terre - pour remonter au pont 10. Là où il y a les cabines, la cantine des simples matelots et le mess des officiers. Jonas est resté trois jours dans le ventre de l’animal. Nous y resterons un peu plus. Deux semaines environ, peut-être plus, peut-être moins. C’est la loi du fret à laquelle le passager d’un cargo doit se soumettre. Poids au départ : 7439 tonnes, 2943 voitures. Les hommes et les femmes sont-ils compris ?
Les départs sont lents en cargo
20h, la nuit tombe. Le vent souffle fort sur le pont. Un vent qui vient de la terre et emporte avec lui les transats laissés à l’abandon sur le pont. On a déjà mangé. A 18h, l’heure du dîner pour les passagers. On est sept à partir de Salerne. Je partage une cabine avec Cathy, un lit superposé comme quand on est petits. Notre cabine n’a pas de hublots. Heureusement, on n’est pas clausros. On côtoie Patricia, une Américaine de Richmond, embarquée à Southampton, Marie-Josée, une Française de Bordeaux, et une famille de trois nordiques.
Les départs sont lents en cargo. Il faut enlever les cordes une à une, attendre les vedettes du port chargées de guider la baleine vers la pleine mer, manœuvrer délicatement entre les quais et les autres navires. Au-dessus de nos têtes, la nuit et les étoiles.
21h, on largue les amarres. Sur le pont côté mer, il fait bon.
Samedi 12 septembre
On a passé le détroit de Messine dans la nuit. A 8h30, on n’aperçoit plus que la silhouette des côtes siciliennes. La mer est d’huile. On ne risque pas de vomir le petit déjeuner.
Sur une carte, il y a un trait tracé au crayon à papier. Un trait bien droit qui traverse la mer ionienne jusqu’à la pointe sud du Péloponèse, passe par le détroit de « Elafonisou » au large de Cythères, avant de remonter vers le Pirée à travers la mer Egée. « Il y a beaucoup de bateaux avec des passagers dans ce coin, c’est plus compliqué de naviguer », dit Daniele. Daniele est deck cadet, en formation pour devenir officier. Comme Anna, la seule femme d’équipage. Ils sont 27, dont sept Philippins, un Roumain et des Italiens. A bord, ils sont 11 officiers.
Florence guette avec ses jumelles. Il vient des Philippines. Un pays qui donne beaucoup à la marine marchande. « Able seaman », c’est son titre. Littéralement, un matelot capable… Capable de quoi ? « The opposite of disable», se marre Florence. Le contraire d’handicapé.
Franco, steward charmeur et débordé
Dans notre cabine, Franco a déjà fait le lit, plié les serviettes de bain. Il a laissé sa femme sur le quai. Comme à chaque fois. Sa Pénélope habite sur les pentes du Vésuve. Là-bas, dans les terres au-dessus de Pompéi. On le devine déjà : Franco est notre mère à tous. Il parle italien, donc beaucoup avec ses mains.
Franco, c’est l’Italien charmeur dans toute sa splendeur. Napolitain, corrigerait-il. Celui qui ouvre les bras en criant « bella » à l’autre bout du couloir quand il nous aperçoit. Qui nous poursuit de ses incantations à « mangare, mangare » pour peu qu’on le croise 10 minutes avant l’heure du repas. On est à peine parties que c’est déjà devenu un rituel.
Le sien est une course contre la montre permanente. Car Franco court partout, au service des officiers, au service des passagers, plus ou moins nombreux selon les traversées.
On le voit passer la serpillère dans un couloir, repasser les chemises des officiers dans une salle, servir les pastas au mess. Il plie même les tee-shirts de Cathy et le pyjama de Marie-Josée ! « C’est pour ça que je garde la ligne », dit-il en rigolant. Et aussi parce qu’il fait des altères dans la salle de gym. « Devinez mon âge ? » « Cinquanta cinque », répond Cathy. Franco en a 60. Dont 37 sur les bateaux de Grimaldi.